Si vous êtes entrepreneur, ou en passe de le devenir, vous n’êtes sans doute pas sans savoir que les formalités liées aux entreprises ont connu une petite révolution le 1ᵉʳ janvier 2023 avec la mise en place du Guichet unique des formalités des entreprises. Il faut dire que l’État français était souvent critiqué pour ses démarches complexes en matière d’entrepreneuriat, surtout à l’heure du tout numérique.
Depuis cette date, le guichet unique des formalités des entreprises, qui a d’ailleurs été développé par l’INPI, est donc devenu la plateforme obligatoire pour effectuer toutes les formalités liées à la création, à la modification ou à la cessation d’activité des entreprises. L’objectif annoncé était ambitieux, puisqu’il s’agissait de simplifier et de centraliser les démarches administratives pour apporter un vrai gain de temps aux entrepreneurs.
Mais alors, est-ce que ce guichet unique est réellement une révolution positive en pratique ? Pour ne rien vous cacher, la réponse n’est pas si évidente.
Le Guichet unique ou la promesse de la simplification
L’idée de regrouper les formalités sur une seule et unique plateforme peut paraître très alléchante à première vue, surtout que dans les faits, les CFE (centre de formalité des entreprises) – jusque-là gérés par les Greffes, l’URSSAF, les services fiscaux, etc. – ont été remplacés par ce portail dédié. Là où plusieurs interlocuteurs pouvaient ainsi se succéder auparavant, cette centralisation devait faciliter l’accès aux informations et permettre aux entrepreneurs d’effectuer leurs démarches en ligne en quelques clics (qu’il s’agisse d’une immatriculation, d’une modification de leur activité, ou de la dissolution de leur entreprise). Le projet s’inscrivait donc pleinement dans la révolution numérique en marche au sein de l’administration.
Sur le papier, le dispositif promettait de réduire les temps de traitement, de clarifier les procédures, et surtout d’assurer un suivi en temps réel d’un côté comme de l’autre. Et puis, en théorie, la mise en place du Guichet unique aurait aussi dû permettre d’éviter les erreurs liées à la gestion fragmentée entre les différentes entités précédemment nommées. Mais si vous êtes attentif, vous aurez noté l’emploi du « conditionnel » dans ma phrase précédente, et ce n’est pas anodin. En effet, comme souvent dans les projets d’envergure, la mise en œuvre du Guichet unique a mis en lumière des problèmes conséquents.
Les limites du Guichet unique
Malgré l’ambition légitime du gouvernement, de nombreux entrepreneurs et autres professionnels de l’entrepreneuriat (experts-comptables, juristes, etc.) ont rapidement déchanté après avoir rencontré plusieurs soucis récurrents.
Pour commencer, les difficultés techniques sont légion. Entre les blocages réguliers à la connexion, notamment en raison d’une surcharge des serveurs, les erreurs systématiques lors du remplissage des formulaires, comme des champs obligatoires qui apparaissent après validation et qui obligent les utilisateurs à recommencer leur formalité, ou encore des rejets inexplicables de documents à cause de problèmes techniques divers et variés (nom des fichiers PDF, signature non conforme aux exigences de l’INPI, etc.), naviguer sur le Guichet unique est loin d’être un long fleuve tranquille.
Mais ce n’est pas tout, puisque là où la plateforme devait faire gagner du temps aux entrepreneurs, il semble que ce soit loin d’être le cas. Par exemple, le Guichet unique impose de nouvelles exigences, comme la signature électronique qualifiée ou l’utilisation de FranceConnect+ qui ajoutent une couche de difficultés pour les non-initiés. Il est également impossible de regrouper plusieurs modifications (par exemple, un transfert de siège social et un ajout d’activité) en une seule formalité. Les utilisateurs sont ainsi forcés de répéter des démarches coûteuses. Cerise sur le gâteau, certaines modifications peuvent être bloquées par des procédures impossibles à corriger via la plateforme.
À cela s’ajoutent des lacunes de communication et une assistance défaillante, avec notamment des temps de réponse très longs pour obtenir de l’aide (parfois jusqu’à plusieurs semaines). Et puis, alors que cela devait être un avantage, l’absence de coordination claire entre l’INPI, les Greffes et d’autres organismes comme l’INSEE peut significativement compliquer les cas de figure qui sortent des sentiers battus.
Des conséquences dramatiques pour les entreprises
Tous ces dysfonctionnements ont d’ores et déjà eu de gros impacts sur le traitement des formalités des entreprises, sans parler des coûts supplémentaires (par exemple, une formalité régulièrement rejetée peut nécessiter plusieurs paiements avant d’être acceptée).
Pour certaines sociétés, ces manquements ont entraîné des répercussions conséquentes, tels que :
- des retards dans le lancement d’une activité ou sa dissolution, avec notamment des conséquences sur les projets et le respect des délais légaux ;
- une incapacité à fournir des justificatifs nécessaires, aussi bien pour les clients que pour les partenaires financiers ou les organismes de régulation ;
- un risque d’amendes ou de sanctions financières pour le non-respect des délais, en particulier dans le cadre du dépôt des comptes annuels ou d’autres déclarations obligatoires.
En discutant avec un confrère, j’ai appris que des erreurs de dates l’avaient bloqué pendant plusieurs mois. La dissolution de son entreprise votée en novembre avait été refusée parce que la date renseignée ne correspondait pas à celle exigée par la plateforme (sans aucune raison apparente), exigence qui n’était en plus pas conforme aux règles juridiques en vigueur. Il m’a aussi rapporté avoir été frustré de voir les organismes le faire courir de service en service. Tous « se renvoyaient la balle » sans solution concrète.
En bref, comme c’est souvent le cas avec l’administration française, ce qui pourrait être simple devient un parcours du combattant.
Quel avenir pour le Guichet unique ?
Face au tollé provoqué par toutes ces critiques justifiées, le gouvernement avait mis en place des procédures d’urgence dès 2023, soutenues par des promesses d’améliorations courant 2024. Mais où en est-on début 2025 ? Pour être franc, il m’a suffi de quelques recherches sur les réseaux sociaux pour voir qu’on était encore loin de la plateforme pratique promise.
En novembre 2024, soit il y a quelques semaines à peine, un expert-comptable se plaignait encore du rejet de 90 % des formalités, sans raison apparente une fois de plus. L’URSSAF renvoie vers l’INPI, qui renvoie elle-même vers l’INSEE, etc. Celui-ci indiquait aussi que pour un même dossier, avec les mêmes justificatifs, il lui avait fallu deux passages (et donc deux paiements) pour que ce dernier soit accepté par le Greffe.
Il semble donc évident que de nombreux problèmes subsistent.
En tant qu’entrepreneur ou auto-entrepreneur, je vous conseille de prendre vos précautions pour vous prémunir de tout problème en attendant (peut-être) une amélioration du Guichet unique. En premier lieu, prévoyez toujours une marge de temps importante pour réaliser vos démarches, afin de vous laisser la bande passante suffisante en cas d’obstacle impromptu. De même, et c’est le meilleur conseil que je puisse vous donner, conservez toutes les preuves écrites de vos échanges avec les interlocuteurs concernés. Vous verrez que cela pourrait bien vous être très utile…